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Fragments

30/11/2024

À la recherche de l’invisible et de l’indicible, du secret et du silence. Ne vivre que dans l’éternité de l’éclair, dans ce temps raccourci, prélude aux fertiles fractures, dans l’attente désespérée du vertige salvateur et prolifique. Prolonger l’éclair et raccourcir l’éternité dilatée. Fils des ténèbres, prisonnier de nuits séculaires qui ne sont pas encore advenues, en quête de l’existence avérée de la lumière nourricière et rassérénante.

À courir après les étoiles, à en oublier la nuit.

27/11/2024

Écrire des mirages. Habiter le vertige. S’abreuver de l’excès.

10/10/2024

Voir la lumière. Mieux entendre la lumière. Se nourrir de la lumière.

09/10/2024

Être celui qui apporte le jour à la nuit, la lumière au jour et la couleur à la lumière.

10/09/2024

Longtemps obstacle à l’écriture, voici que la quête des étoiles et des mondes incertains en devient l’aiguillon, la matrice et le ferment.

De narrer des contes fabuleux et plus grands que l’espace, qui finissent par dégouliner inévitablement dans l’écriture inachevable.

Nef en perdition dans des mers intestines et des nuits fétides, avec une lumière noire pour unique boussole. Avec des ciels obscurcis, proches du sang caillé par une éternité passagère et pluvieuse.

09/09/2024

De retour du pays dont nul n’est jamais pourtant revenu. De retour de ce pays qui n’existe pas et dont il est aisé d’être prisonnier car ses chaînes sont en nous. Fantôme perdu dans l’interstice qui nous sépare du néant. Et qui menace de nous avaler.

08/09/2024

À l’assaut d’un monde qui n’existe pas et qui n’existera jamais. Et qui pourtant est le fantôme de nuits anciennes qui n’ont pas disparu. Et qui sera peut-être l’ultime levain et donnera la force fière, féroce et fanatique d’y croire et de persévérer. Jusqu’à l’aveuglement. Jusqu’à l’extinction. Jusqu’à la folie libératrice. Jusqu’à la lumière qui s’éteindra. Jusqu’au silence, orphelin d’oreilles, devenu inaudible.

07/09/2024

Invitations aux voyages, avec des alizés gorgés de nostalgie. Avec des nefs restées au port dans l’attente. Avec des temps en rupture d’éternité.

Quelques mirages de rivages intestins que les temps auront déserté depuis longtemps, peut-être par lassitude ou par ennui. Tout le reste était déjà fané avant que d’éclore hélas.

17/08/2024

Et de s’extasier sur quelques dernières lueurs avant la grande nuit.

12/08/2024

Images capturées devenues antichambres serviles de la folie. Décors incarnés du néant.

Mirages qui illustrent les phrases retour du néant. Cavernes qui hébergent les miracles endormis prêts à éclore. Comme des milliers de soleils avides. Pour brûler la rétine et réapprendre peut-être à voir.

Ne pas pouvoir vivre hélas aussi longtemps pour résumer l’éternité et pour la voir disparaître enfin.

Nous marchions sur des tas d’or sans le savoir. Il aurait seulement suffi de regarder sous nos pas pour y apercevoir de fabuleuses richesses. Jamais pourtant l’opulence n’avait été aussi proche et la pêche si prometteuse.

05/08/2024

Entre néant et création, une lutte à mort s’est engagée. Une course contre le temps qui reste. Contre le temps ingrat. Contre le temps rétréci. Contre le temps oublieux.

Qui sont ces flibustiers qui forgent des armes et des destins pour d’âpres batailles ? Des nefs pour des voyages incertains, pour des voyages au-delà des mondes vers les mers qui ne connaissent point de rivages ?

Sur le chemin harassant de la lumière. Jusqu’à en devenir aveugle. Jusqu’à en apercevoir d’autres lueurs qui n’attendent qu’un regard égaré et aventureux. Au bout des nuits séculaires, une étincelle peut-être jaillira. Et les cœurs seront alors rassasiés. Et les corps trouveront alors le repos. Enfin et pour toujours.

01/08/2024

Puisse une lumière non encore enfantée et venue de nulle part rendre la vue à ceux qui n’ont jamais vu. À ceux qui la reconnaîtront car elle les a toujours habités sans jamais se dévoiler par crainte d’être flétrie ou d’être étouffée.

29/07/2024

Dans la nuit terne sans terme possible, la couleur est ivresse et boussole. Sans elle errements inconsolables dans le temps évanoui.

Sur la route qui ne mène qu’au néant impatient, jonchée de ciels repus, ceints de poussières d’or. De ciels impérieux ceints de diadèmes d’or. Qui aura encore les yeux pour les voir ? Qui saura encore reconnaître la lueur salvatrice que personne n’a encore vue ?

18/06/2024

Quand le jour se sera éteint, épuisé par l’attente, il restera encore l’espoir d’une lumière nouvelle, d’une lumière renaissante qu’aucune nuit n’aura pu étouffer. Resteront alors des couleurs qui ne mourront pas, accrochées à l’horizon qui tarde, au ciel qui s’entrouvre et à la mer qui s’embrase. Et un peu plus loin, sur la grève finissante, l’éternité, lassée d’attendre, se sera évanouie à jamais.

07/06/2024

Comment pouvait-il mourir puisqu’il n’était pas né au monde ?

30/04/2024

Tour à tour bouées à la mer disparue, ébauches d’éternité gangrenée, parfums de paradis perdus qui n’ont jamais existé. Échos de mondes incertains à venir et qui ne viendront pas. Fils du soleil, fils de cette éternité souveraine qui un jour pourtant finira. Dans l’éclair où elle avait commencé. Dans l’éclair qui l’avait fait naître. Peut-être.

11/03/2024

Naviguer en permanence entre le pays de l’éternelle lumière et un cloaque de ténèbres vivaces.

05/01/2024

Des buissons ardents qui crépitent dans l’incendie des lueurs de retour des souvenirs défunts. Elles n’existent pas et portant inondent l’espace.

Des yeux aveuglés par d’étranges lueurs venues de jours qui ne sont pas encore éclos et qui pourtant appartiennent aux temps anciens.

En route vers l’éternité, là où commence le soleil. Dans les fissures des temps, pêle-mêle océans de mirages et marécages de miracles en attente. En route vers le soleil, là où commence l’éternité. Temps en devenir et déjà en retard sur l’avenir.

03/01/2024

Dans l’attente de la coagulation des ciels. De l’embrasement de l’azur. Des alphabets en lettres de feu. Et des noces de sang. Partir impavide cueillir les étoiles d’or et assouvir l’enfantement du miracle. Loin de la litanie des désirs inassouvis à labourer inlassablement le ciel pour en décrypter les oracles.

6/12/2023

Sourcier du hasard. Architecte du destin. Forçat de l’acmé. Archéologue de l’avenir. Vagabond du destin. Quels fardeaux pour une éternité trop courte et trop étriquée!

11/11/2023

Paradis endormis, abandonnés à la naissance et qui étaient nos compagnons dans le néant qui l’a précédée. Ils ne demandent qu’à être réveillés pour être révélés. Y aura-t-il des yeux nouveaux pour les voir ? Ils ont tant à nous montrer et nous émerveiller.

7/11/2023

Croire en des rêves impossibles qui viennent s’écraser défaits sur les ourlets des jours faméliques, des jours maléfiques. Vocations bridées avant d’en être brisées.

01/11/2023

D’où vient cette pluie au goût étrange, à la couleur insolite qui va nous engloutir ?

Que reste-t-il au matin des rêves formidables conçus dans les prisons sans murailles de la nuit ? Espoirs pulvérisés, carcasses de désirs mort-nés ? Foetus d’avenirs déjà défunts ? Épaves de nefs revenues de croisières impossibles ?

La vie ? Cet intermède singulier entre deux néants ? Lequel est-il le plus enviable ? La mort d’avant ou celle d’après ? Et dans l’intervalle, quelle finalité ?

24/09/2023

Des rêves imparfaits que la nuit n’achevait pas. Des rêves impuissants dont le jour ne voulait pas. Des rêves moribonds aux temps révolus. Des rêves orphelins de la nuit. Des rêves bannis du jour.

10/09/2023

Ne pas être dans l’orage. Être l’orage qui amène le levain des sources fécondes. Le jour qui brise les chaînes de la nuit. Cette nuit avec son cortège de rêves inachevés, de rêves en jachère. De rêves avortés par la cruauté du jour distant, impassible et méprisant. De progénitures mort-nées qui espéraient tant.

Nostalgie de ce qui n’est pas advenu et qui n’adviendra jamais. Suprême douleur. Suprême cécité. Et des chaînes plus lourdes que le poids des mondes inconnus.

27-08-2023

Partie souveraine d’un tout, d’un tout fracturable, le fragment porte en lui ses origines lacunaires, et hésitant entre les méandres rétifs de son obsédante hérédité, aussi ses signatures lagunaires.

Retour des îles avec les soutes lourdes de souvenirs brûlés par les embruns. De regards repus et de ventres encore affamés.

Écrire peut-être raccourcissement du hasard, incertitude du possible ? Ensevelissement permanent avant amputation due au néant gluant. Méthodique et revanchard.

Corps prisonniers de l’étreinte éreintante, asphyxiés par le désir indompté et les ivresses tardives. Ils cherchent le lieu des énigmes. Ils ne voient pas que leurs mémoires s’envolent vers des souvenirs inédits empreints de poussières d’or et de tristesses prémonitoires. D’abandons inévitables. D’entrailles lacérées. D’espoirs ulcérés.

Comment rompre les amarres avec un vaisseau de pierres dans un océan de sables ? Comment concevoir un rêve qui devrait contenir tous les autres rêves imaginables, tous les autres rêves inimaginables ?

Assis sur le bord de la grève, à attendre l’arc-en-ciel espéré. Avec la seule rumeur du ressac pour briser les silences. Avec la seule arme du regard pour trancher l’océan et courtiser l’apocalypse naissante et déjà rebelle.

De l’obscurité, sa demeure, où il vécut sans voir, à la lumière retrouvée qui ne lui offrit qu’une nouvelle cécité définitive.

Au premier matin du monde l’horizon n’avait point de fin. Puis survint le premier orage. Qui s’en souvient encore ?

Après l’épuisement forcené des filons s’annonçait déjà l’ère des navires désespérément lèges.

Écrire pour se prolonger au-delà de l’éternité dérisoire et éphémère par destination. Voyageur immobile rivé à la page blanche et asservi à l’aléa des mondes imparfaits qui s’annoncent. Infinis. Infinitésimaux.

Ne plus se souvenir de l’avenir qui était déjà écrit. Et ne plus se souvenir de l’avenir déjà épuisé.

À l’abordage de ces rivages soumis à la fureur de l’espoir, de ces nefs démâtées, de ces galions éventrés par l’écume. Loin des passions dissoutes dans l’ennui.

Pourrons-nous survivre un jour au déclin inéluctable de l’éternité ? Lascive et lasse ? Et accoster d’autres temps non encore explorés et dont seuls les rêves savent encore nous parler ? Pourrons-nous croire le plus grand pilleur, le plus grand cannibale de mots, celui qui écrit ? Qui s’échine à ramener au présent tous les ors des temps impossibles ?

Au discours continu opposer le torrent du discours discontinu riche de ses ruptures, de ses prisons, de ses fulgurances, de ses impasses, de ses chaînes, de ses éclairs et de ses renoncements. De ses déchirures, de ses épuisements et de ses échecs aussi.

Sur le dernier rivage. Juste avant que le temps ne se disperse. À jamais. Devant le dernier mirage avant que l’espace ne se retire. À jamais.

Dans la désintégration méthodique, forcenée du langage. Dans la rupture, mais la rupture incarnée. Qui sépare l’esprit du corps inexorablement. De la chronologie de l’espace. De la géographie du temps. De l’éclair et de l’aveuglement né de la nuit captive.

Écrire non pas avec des mots mais avec du sang et de la chair. Avec des mots uniques. Des mots iniques. Des mots, fruits interdits, fruits incestueux du néant et de l’éternité. À la recherche de compagnons d’infortune. De témoins aveugles et sourds, d’éclairs qui habitent et hantent des jours sans fin. Jusqu’à l’épuisement des temps.  Dans des souvenirs pour mille ans et des rêves incertains. A chaque fois dans des phrases contraintes. Dans des phrases contraires. À chaque détour de phrase. À chaque fin inachevée. Forcément inachevée. À chaque fin inachevable. Forcément.

Le tocsin avait été sonné trop tard. Maintenant était déjà un temps qui n’appartenait plus à aujourd’hui. Chaque jour qui passait, nous retranchait un peu plus de ce monde en perdition et nous éloignait un peu plus d’un monde que nous avions gaspillé et finalement perdu.

Attendre jusqu’à l’endroit où le temps se sépare de l’espace, jusqu’à ne plus avoir d’yeux, brûlés par d’aveuglants souvenirs. Par-delà les mondes jusqu’à la résurrection promise. Là où s’achève l’infini. Là ou s’achève le devenir les mondes. Le commencement sourd des mondes. Le creuset des lendemains possibles.

Écrire, Tour à tour ébauche permanente, carrefour de labyrinthes, amphithéâtre de la mort incertaine, de la mort improbable. Dans la phrase attardée. Tous les désirs y naissent et toutes les étreintes s’y nouent. Tous les désirs s’y entrechoquent. Toutes les étreintes s’y fracassent les unes contre les autres. Et les éclairs résistent, se prolongent et s’agrippent.

Espoirs qui agonisent dans l’extinction prématurée du jour. Destins qui ne parviennent pas à éclore, et qui auraient pu s’accomplir sans entraves. Pourquoi la vie a-t-elle renoncé à son immortel destin ? Vieillesses immatures au passé flétri. Innocences gâchées dans la déroute de l’avenir.

Tout se rattache au premier ancrage, et les innombrables périples, les exils forcés ne pourront dissoudre les liens que le sang a forgés. Un rêve s’achèvera entre le port turbulent et la route qui ouvre sur le ciel démesurément bleu. Peut-être les mots ne sauront-ils plus lisibles tant l’éblouissement sera fort. Peut-être les morts recommenceront -ils à parler. Peut-être tout redeviendra-t-il possible en quelques secondes extrêmes. Le ciel s’embrasera et la nuit n’existera plus. Juste le temps d’une courte éternité.

Abeille de fleur en fleur en quête d’un repas toujours aléatoire. Frugale ration pour une cène festive néanmoins. Elle doit composer avec les dangers nouveaux qui guettent ses champs et peu à peu lui inocule le poison mortel qui pourrait l’emporter. Pourra-t-elle encore longtemps ensemencer nos fleurs pour y préparer nos récoltes ?

Ce livre continuera en vous et vous en écrirez les pages manquantes au fur et à mesure de son parcours. Car les mots que vous lirez ne sont là que pour appeler les vôtres. Ce livre doit pourvoir continuer à s’écrire en vous. Son seul souhait qui pourrait devenir son seul destin avec votre consentement.

Dans cette vastitude impénétrable, dans cet océan de naufrages pressentis, seule l’astrolabe savait encore donner le cap et guider jusqu’au lendemain. Mais où trouver le port ? Où trouver le visage qui recueille l’espoir ? Où recueillir l’oracle qui nous délivrerait ? Où trouver l’onction du regard absent ?

Nous étions parvenus à un monde épris de vitesse, d’accélérations effrénées, dans lequel tout semblait avoir été dit. Or chaque jour nous apprenait que tout restait à dire, que  tout restait à écrire. Que l’accumulation d’écrits insignifiants mettait en péril la parole essentielle, la parole divinatoire, la parole oraculaire.

D’avoir voulu sommer le hasard et le rendre servile faute de l’apprivoiser, l’étiage nous laisse, après tant de sourdes éruptions, tant de vérités avides et souterraines, exsangues et au bord de l’infini délétère. Sur les routes obscures qui se perdent au lointain. Sur les étangs craintifs qui s’enfoncent dans la profondeur sidérale du soir. Sur les ravines escarpées qui remontent vers leurs sources enfiévrées. Sur les vertiges suspendus aux vestiges qui lentement s’embrument.

Le morcellement comme solution à l’impasse, à l’asservissement du livre, à son impossible conclusion. Mais ce morcellement ne conduit-il pas au renoncement inconscient du livre ? Inconscient ou prémédité ? Qui peut venir à la rescousse de l’asphyxie qui achève celui qui écrit et qui pourtant ne connaît point d’autre impératif que l’abdication ?

La poursuite de rêves émaciés qui se muent en paroles évasives, en paroles évanescentes qui désertent le texte, le texte étouffant et cellulaire. Et les mots, qui aspirent à l’effacement et à l’étouffement, nous laissent chaque fois amnésique d’un usage précédent. Des mots incréés qui s’attardent dans la phrase, des mots indigènes nés de la phrase indélébile. Des mots qui ne se donnent pas mais qui ne s’appartiennent pas non plus. Des mots égarés qui peuplent les phrases jusqu’à les hanter, jusqu’à les déserter. Il n’y a pas d’issue autre que la mort pour dénoncer le pacte tacite, le pacte inégal qui ne mène qu’à l’aliénation progressive et qui diffère indéfiniment la libération possible de la capture initiale, du carcan volontaire.

Il n’y a d’autre écho dans la phrase que le cri individuel de chaque mot livré au temps défunt, à une prémonition d’avenir sans certitude. Le livre n’apparaît plus que comme un écueil dans le déroulement du temps. Qu’une fascination de l’absence euphorique.

S’évader de la solitude du texte par sa fin anticipée. Par sa fin suicidaire. Apprendre la vertu de se tarir, de se taire. Le silence incarné dans les mots et qui n’en finit pas de s’emparer de la parole captive et mortelle. Lire permet de mesurer le temps pétrifié, de comprendre qu’il nous est devenu étranger et d’instaurer une amnésie récurrente. S’évader de l’enfer de la phrase pour engloutir le temps pétrifié.

Le fragment recherche une langue primitive, une langue présumée, antérieure à l’invention du langage, à la codification d’un quelconque alphabet. Un son qui succédera au silence impérieux. Chaque fragment suspendu dans un lieu inaccessible, un lieu refermé, ne sème qu’une distance infinie. Une distance que la lecture ne peut mesurer et dans laquelle toutes les tentatives échouent.

Les mots s’émancipent, se parlent entre eux. Habitués au déclin car ils sont prévoyants. Après avoir volé la lumière, se condamner à la nuit. Sur les traces de l’avenir. Sur les traces du martèlement obsédant du temps. Une décantation nocturne, prélude aux questions sans réponses. Aux rêves irrésolus, aux rêves insatisfaits, aux rêves inaccomplis. Textes soumis à la question de leur stricte existence. La quête du mot barbare conduira à la destruction du présent. A l’insomnie. Au désastre qui nous avait précédé et dont nous étions héritiers posthumes, esclaves affranchis pour mieux s’astreindre à l’art monotone de la mort répétée. Comme le poème est l’art de mourir perpétuellement sans jamais disparaître.

À la recherche d’une cathédrale pour y bâtir sa foi. D’un port pour y jeter l’ancre, d’une feuille pour y jeter l’encre des mots. Le fragment n’achève pas, il se relie à ses frères par delà les liens temporels, les filiations impossibles. Ses naissances incestueuses le renforcent et le perpétuent. Les traces qui effacent les souvenirs, les traces qui sèment d’autres souvenirs pour d’autres traces. Pour ces rêves inconsolables accrochés à la nuit, accrochés à la nuit répudiante. Évadés du futur. Évadés permanents du réel en devenir et encore informe.

Le fragment venu pour conjurer la contrainte du livre, l’écartèlement du livre, l’asservissement au livre. Les mots cristallisés après leur abandon dans la phrase, en quête d’un futur qui ne s’ouvre que sur hier. Autant de volontés impossibles et d’unions improbables. Autant de désintégrations prolifiques. De prolifiques rejets du néant.

L’œuvre ne commence qu’à chaque nouveau fragment, qu’à chaque fragment non encore écrit, qu’à chaque fragment en gestation. Elle meurt à chaque fois qu’elle se crée avant même d’être entamée. Les fragments ne sont que les témoins de ce silence aventureux, d’un silence intraduisible, d’un silence qu’il faudra néanmoins tenter de révéler. Cette alchimie du souvenir, cette algèbre du souvenir. Aveuglé d’avoir osé regarder. D’avoir osé vaticiner alors que les sens ne connaissaient aucun répit, que le regard ne savait plus s’imposer de limite, que la voix parlait aux pierres, que l’ouïe percevait les hésitations du hasard.

N’être qu’une étape, qu’un engrenage, qu’une marche dans la fin de l’écriture, dans le grand cri captieux et inaudible. Renoncer à la tyrannie du dire, à la tyrannie asphyxiante du dire. À la spoliation verbale du dire. Dans l’attente de l’impossible phrase conclusive. De la phrase imprononçable et inespérée. Résister à la soumission du vocable récalcitrant et révolté.

L’écriture, hasard inéluctable des mots émancipés qui se parlent et qui ne parlent plus qu’à eux-mêmes.

Il faudra redevenir barbare, nous réappartenir, ramener les butins fabuleux, ériger les nouvelles citadelles, brûler les livres mensongers, couronner à nouveau les idoles ensevelies prématurément et marcher imperturbables vers le soleil en abandonnant derrière nous les décombres dont nos traces seront jalonnées.

Libéré du grouillement insidieux par la solitude, libéré de la parole infatuée par le silence. Météore dans un temps qui s’estompe. Dans les liens infrangibles qui enchaînent au silence revêche de la nuit orpheline. Aux liens intangibles qui rattachent à la première aube.

À la raréfaction du temps succède la raréfaction de l’espace.

Se recouvrir les plaies d’un peu de sel. Il est le seul onguent, la seule graine féconde pour pouvoir enfanter demain. Rien ne sert de maudire le néant, l’ennui et le silence ataviques. il suffit d’en recueillir tout le suc amer et à en faire l’élixir du miracle.

Car l’intime est l’infime, et l’infime ne connaît point d’infini autre que lui-même sans cesse recommencé. L’intime a peut-être commencé un jour où l’infini achevait de grandir. L’intime va peut être s’achever là où s’est échoué le temps recomposé.

Les mots s’effacent, s’oublient et se réécrivent malgré nous, malgré eux. Pour mieux nous effacer, nous oublier et nous réécrire. Ils savent se tapir dans le corps des phrases. Nous prolonger en elles et se prolonger en nous. Ils écrivent notre mémoire et sont nos souvenirs qu’ils forgeront avec leur ruse, leur audace et leur innocence. Ils ont enfanté l’oubli qui conduira à notre perte. Ils sont ces lendemains aussi vieux que l’éternité passée, aussi dérisoires que l’éternité éteinte. Ils sont demain qui ne se lèvera jamais.

Chaque phrase est le souvenir d’une fracture, le témoin d’un secret, l’aveu d’un désir, la preuve d’un hasard.

Le vertige maintenant pour demeure, pour seule demeure habitable, pour seule demeure supportable, pour seule demeure féconde.


L’arrachement intérieur, l’arrachement inaltérable, l’arrachement incandescent. Il précède l’abandon qu’il contient. Il est en germe sur le sentier de la dépossession. Ne reste que l’image obsédante de l’absence incurable, de l’absence inaliénable. L’arrachement solitaire, l’arrachement salutaire. Il n’est présent que pour témoigner de la permanence de l’exil. De l’exil noueux dont il est impossible de s’affranchir. Dont il sera impossible de s’affranchir demain lorsqu’hier s’effacera, lorsque l’île promise, l’île attendue sera à portée de regard et qu’il faudra se défaire de tous les oripeaux accumulés, de tous les regrets inutiles. Juste avant le dernier accostage, non avant le nouvel accostage.

À chaque phrase l’inconnu et à chaque phrase le risque du silence définitif. À vouloir le traquer et le capturer, le chasseur peut devenir plus fragile que la proie, plus esclave qu’elle. Comment se contenter de la nostalgie ? Comment se contenter même de la nostalgie de ce qui n’est pas encore advenu ? Comment pourrais-je supporter sans amertume la rigueur du jour rugueux, moi le forçat sans chaînes, l’apôtre sans dieux, l’aveugle sans yeux ? Le silence invasif, le silence intranscriptible. Que puis-je abandonner derrière moi ? Que peut offrir un aveugle au jour interdit sinon tous les mirages jamais vus ? Y aura-t-il seulement un regard qui saura s’affranchir des nuits accumulées jusqu’aux ténèbres ? Y aura-t-il un regard qui saura déceler sous l’apparente obscurité les ors infinis de lumières qui attendent d’être vues ? Qui n’attendent plus que le miracle d’un regard ? Le miracle d’une confidence ?

Vouloir apprivoiser le néant capricieux, le néant repoussant, le néant ingrat. Et pourtant il aura été, dans son extrême bonté, dans son extrême bienveillance, aussi le néant fertile, plus prodigue que toutes les saisons, plus enivrant que toutes les vendanges. Il n’y a plus désormais de dieu que lui. Plus désormais de foi que lui. Plus désormais que lui, auquel s’accrochent tous les espoirs à la dérive, tous les instants naufragés. Tous les voyages qui ne savent jeter les amarres. Toutes les nefs ancrées dans les horizons qui s’effacent.

Du sang incarnat à l’incarnation du sang.

Quand les mots seuls disent, savent encore dire et ne suffisent plus à dire l’extrême silence, l’extrême confidence, l’extrême solitude et l’extrême désir qui accompagnent leurs jours, là commence le poème, là commencent l’incertitude, l’anéantissement, le déracinement, l’énigme, l’oracle et la prémonition du poème. Autant de vertus vouées à l’échec permanent, à l’échec insurmonté, à l’échec tenace, à l’échec répétitif. Fruit de vaines passions et d’impossibles rêves, le poème s’invente, se détruit et se recompose sous la faux et le labour des yeux.

Chaque fragment est nouveau, amnésique de ses prédécesseurs. Mais comme l’être humain, le poème est contradictoire, il réfute ce qu’il a déjà dit. Il ne se satisfait d’aucune de ses affirmations et redit ce qu’il a déjà exprimé dans d’infinies variantes qui ne sont que les preuves de sa folie, de son indécision atavique mais aussi de son infinie capacité de transformation, de digestion, de régurgitation. Ce n’est pas une forme d’inconstance mais seulement l’expression exacerbée d’un tragique désarroi et d’un irrépressible désenchantement aussi vieux que le premier jour.

Étreindre l’espace autant qu’il étreint. Respirer l’espace autant qu’il asphyxie. Dans ces phrases, il y a eu un commencement mais il n’y aura jamais de fin, de fin concevable. La fin, forcément dramatique, sera le résultat d’une démence plus puissante que les autres, un trouble dévastateur qui laissera les facultés exsangues. Ou bien, dans un court moment de lucidité retrouvée, abusé par l’écriture, viendra la répudiation sans retour.

Les ciels impuissants à contenir le jour, à embraser la nuit. Et les rêves embrasés, impuissants à féconder le jour.


Récits de l’instant à venir. De l’instant qui naît. Qui déjà se meurt.

Ceux qui se satisfont de l’écume et ceux qui ne se nourrissent que de limon.

Ces mondes où la distance s’effiloche et s’efface. Ces mondes d’où le temps est absent, d’où le temps est orphelin. Ces mondes qui n’existent pas et qui sont déjà nés. Ces mondes qui ne viendront plus et qui de loin en loin encore s’entêtent à vouloir prospérer.

À l’heure où l’éternité s’apprête à disparaître, où une éternité menace de s’interrompre, ne reste que la mémoire éventrée, fragile et incertaine pour continuer à perpétuer le néant. Une mémoire éventée et sanglante. Amnésique et exsangue. En proie à un néant rugueux résolu à proliférer.

La condition de la survie suppose l’abandon irrémédiable de toutes contingences. S’offrir nu aux embruns du temps, aux bourrasques des espaces en furie. Abandonner les amarres et les sextants. Apprendre à oublier ce qui alourdit et limite. S’adonner aux seuls errements des vents étésiens, aux seules caresses des regards attendus.

Avec des ciels acérés qui tranchaient le regard et cisaillaient l’horizon.

Par la parole étouffée, la parole éteinte, la parole indicible accéder au silence et à ses mots sans traces, à ses fils qui ne laissent derrière eux aucun écho durable, aucun lien, aucune progéniture. Leurs cris persistent pourtant bien après nous. Il nous suffit seulement d’en tracer le sillon et d’en attendre les récoltes à venir.

Telle une nef disloquée, la phrase s’aventure dans l’espace entrouvert et béant d’incertitudes. Fruit d’une lueur noire et de chocs imprévisibles, la phrase s’apparie au hasard et s’apparente à un réel furtif. Locution confrontée en permanence à la dislocation, elle devient peu à peu amnésique et orpheline. Son existence muette est semée d’errances natives de la pensée et survit avec peine au parcours lancinant et oublieux des yeux.


De nouveaux maîtres insidieux s’étaient installés. Peu à peu avec la complicité mortelle du silence et de la cécité, sœurs jumelles de l’indifférence. Demain nous serions esclaves. À nous d’allumer les nouveaux feux sans plus tarder. De créer l’étincelle. De brandir les mèches. De conduire la flamme à la poudre impatiente. Nos dieux anciens nous regardent. Serons-nous assez cruels face à la menace pour pouvoir subsister ?

Jamais l’écho du silence n’aura résonné avec autant de force, avec autant de permanence dans les méandres pernicieux de l’avenir, dans les berceaux stériles du possible. Que dans les méandres de l’avenir condamné. Que dans les berceaux du possible enchaîné. Jamais la désaffection de la parole n’aura témoigné autant d’une réminiscence de l’inavouable. D’une trace obstinée du néant. D’une impuissance séculaire à apprivoiser et à façonner le hasard.

Qui écrit vérifie chaque jour dans sa chair la justesse de ses choix, l’âpreté de sa quête. Sa fidélité, qu’il paie chaque jour de son sang, lui donne encore la force exsangue de continuer, l’assurance renouvelée de l’inutilité d’un combat perdu d’avance.
De chaque phrase un livre, un espoir ou un meurtre. Son destin est lié à celui de la phrase suivante, de la phrase possible, de la phrase impossible. Apatride en dehors des mots, apatride jusqu’au cœur des mots. De chaque livre une phrase, résurgence vivace d’un futur improbable.

Avec la complicité involontaire de la nuit, d’une nuit orpheline parmi d’autres, l’espace s’était retiré. Sous d’autres cieux. Sous d’autres regards. Au matin, juste après le rebord fragile du jour, à l’embouchure de l’horizon, plus rien ne subsistait, pas même des traces d’autrefois demeurées en déshérence.

Il faut que le temps lui-même ait changé, que le temps ait changé celui qui lit. Il n’y a pas un texte, il y a des textes, et il n’y aura de texte que lorsqu’il aura cédé à toutes les interprétations, lorsque le lecteur sera devenu l’acteur, le fomenteur d’un destin nouveau. Un fomenteur de vérités inattendues et inespérées, antichambres séculaires des rêves inavoués.

Dans ces temps nouveaux, qui semblaient s’offrir, il ne pouvait y avoir d’éternité. Il fallait reconstruire l’éternité avec des restes de temps consumés, avec des pans de dynasties défuntes. La tâche était aussi vaste que l’espace qu’il faudrait rapetisser. Dans ces temps nouveaux, il ne pourrait y avoir de frontières. Il faudrait enfanter tout l’espace au terme d’une nuit terrifiante. Avec soi et en dehors de soi.

Empreintes subreptices, abandonnées à l’insu, égarées dans un chaos qu’annoncent de sanglantes ruines. Égarées dans un chaos qui n’annonce que de sanglantes ruines. Acharnées à bâtir sur du sable, les traces s’effacent avant même les pas qui devaient les précéder, qu’elles devaient précéder. L’absence seule peut témoigner de l’oubli qu’elles sèment.

L’enfantement de l’écriture ne délivre de rien. Il ne délivre qu’un néant de plus, qu’un réel réfractaire. Qu’un réel imaginaire. Suprême paradoxe. Mais l’écriture est paradoxe. Dans ses veines coulent avec obstination une vie transfigurée qui ne verra jamais le jour et une vie advenue qui pourtant avortera. Dans la phrase obsédante, les temps n’existent pas ou plutôt ils existent mais dans un univers qui leur est propre en-dehors de toute représentation. Il en est du temps comme de l’espace, constructions imaginaires qui se dilatent, se contractent et se délitent au gré des lectures. Il n’y a pas d’autres directions à suivre que celles qui conduisent à soi-même, il n’y a pas d’autres temps à vivre que ceux qui nous habitent et nous résument. Chaque phrase est un infini qui se résume. Un infini devenu captif. Il ne tient qu’à nous de lui rendre son originelle et inévitable liberté, son indomptable dimension. Et à surmonter ou révéler sa tragique limite cachée.

Captif d’un corps étranger qui ne cesse de se réduire. Captif d’un possible qui ne viendra pas. Seules les cendres sont affranchies des terres de captivité. Des temps prisonniers.

L’écriture est autopsie permanente. Une autopsie du vivant, sur la mort en sursis. Sur un corps en décomposition. En décomposition avancée. S’amputer à chaque phrase. De l’avenir et de ses souvenirs déjà fanés à peine éclos.

Comment avoir un destin prodigieux avec de si simples origines terrestres ? Une telle insignifiante origine ? Comment alors devenir démiurge quand les démons nous ont enfantés ? La nuit, plus que le rêve, est un monde inconnu et hostile. D’une libération impossible. Esclave en révolte permanente, Esclave d’une révolte permanente. Dans l’attente de la délivrance de ses chaînes.

Quelques secondes de lucidité, quelques secondes de contentement furtif. L’art difficile de l’écriture, de l’écriture illisible, de l’écriture évanescente où se qui s’écrit est moins important que ce qui n’est pas écrit, pas encore écrit. Yeux en éveil et aux aguets en permanence. Lire non pas des mots ou des phrases, mais des quartiers de vie, des quartiers de soi avant de devenir des quartiers d’autres réincarnés.

Connaître les mots usés et abusés. Complices et innocents. Complice et outils, armes et bras à la fois. Puissances et rédemptions. Lire la page blanche en devenir. Lire le passé qui prend chair.

Tout réside dans le secret, dans le silence et dans la confidence. Le secret est la condition de la délivrance. Secret plus ou moins perméable. Habileté ou persévérance. Embrasser la nuit. Qu’en ressortira-t-il ? Une chimère, une blessure ou un nouveau cri. La suite est pour bientôt.

Puisque le temps est effacé, puisque l’éternité nécessaire à l’avenir est déjà très ancienne. La phrase a l’âge de ses mots ou plutôt de ses maux. Écrire l’avenir avec la langue du passé. La langue incertaine du passé. La langue insouciante du passé.

Dans le livre à venir, dans le livre qui ne débouche que sur l’avenir, que sur un avenir parmi d’autres, il n’existe pas un début, un milieu et une fin mais des débuts, des milieux et des fins. Le livre est un vivier d’où les avenirs pullulent. D’où les passés émergent de partout. Et d’où le présent est multiple. Le livre invitation au voyage, mais intérieur, dans les seuls abysses de soi. Abysses insondés car insondables par essence.

Le livre dans les strates successives de l’intime. Mais avec le livre tout se conquiert, s’échafaude et se mérite.

Le Livre édifice, échafaudage, œuvre en perpétuel devenir même une fois la dernière page parcourue. Univers singulier où temps et espace vivent confinés, survivent dans l’attente et le désir de l’autre et dans lequel tout commence et tout finit. Le livre antichambre de tous les livres qui s’écrivent et se recommencent avec une amnésie chronique, sans liens au passé. Il invente ou réinvente tout ce dont il a besoin. Avec force, avec ruse ou avec intelligence. Il possède les outils nécessaires à son développement incertain et reconnaît ceux qui le prolongeront.

Le fragment n’est pas qu’une tentative avortée, qu’un échec d’une œuvre. Mais une œuvre qui connaît ses limites, qui sait qu’elle ne pourra les dépasser car elles n’existent pas. Empreinte du tâtonnement, pas du renoncement, ou alors du renoncement à la prétention de réaliser l’œuvre totale qui n’existe pas et ne peut exister. Le fragment est le témoin, l’incarnation de l’éclatement, de l’atomisation du monde.

Phrases qui se nourrissent d’elle-mêmes, s’enivrent d’elles-mêmes et s’épuisent d’elles-mêmes jusqu’à l’extinction définitive. Jusqu’à l’extinction provisoire.

Chaque fragment s’appuie sur ses prédécesseurs pour tenter d’avancer plus loin sa limite sans toutefois jamais y parvenir. Le fragment est une œuvre qui a conscience de l’échec, qui l’avoue et qui par conséquent ne cherche pas à exprimer la totalité du monde. Le fragment se contente de réduire le monde patiemment et de l’éclater pour le mieux digérer. Le fragment est à la fois une pierre qui construit et un estomac qui assimile. En cela le fragment est le cousin lointain du lombric. Le fragment, conscient des limites qu’il porte en lui, reste intimement persuadé qu’il détient les armes qui le rendront plus fort et les équipages qui l’escorteront jusqu’à son nouveau rivage.

Le long de pages abandonnées, livrées à la jachère oublieuse, ne subsistent que l’instant foudroyé et le silence qui bégaie. La délivrance n’existe pas pour cet enfantement monstrueux. Il amène ses liens et ne peut plus s’en délivrer. Son breuvage n’est plus que le sang qu’il aliène, que le sang qui l’aliène. Son cri est taciturne et la surdité qui s’ensuit n’en est que plus aigüe, plus définitive.

Dans les méandres de l’avenir, il n’y a plus qu’une mémoire en friche. Éternel avant-poste aux confins du temps foudroyé, dans l’attente d’une désagrégation irréversible de l’espace, elle va devenir ce qu’elle est : le lieu cardinal de l’instant circonscrit.

Quelques folies de plus. Quelques errances scripturales. Seules quelques interrogations, quelques réponses en attente de questions. L’intensité des mots, l’intensité répétée et indistincte des mots, l’intensité des silences anonymes qui les escortent dans leur quêtes, dans leurs nuits. Les mots recouvreront leur puissance, un temps assourdie, pour se donner à qui les parcourt, pour s’adonner avec lui à de nouvelles noces barbares, de nouvelles unions impies, de nouvelles étreintes interdites

L’œuvre prolonge indéfiniment l’existence ou plutôt l’inexistence du monde, du monde apparent, du monde chaotique. D’un monde imperceptible, d’un monde improbable. La mort n’est peut-être que la fin provisoire d’un chaos. Juste avant le commencement hypothétique d’un autre chaos. Écrire peut-être un jour, au sortir de nuits terrifiantes et sanguinaires, les assèchements du corps et les desseins de l’esprit en lambeaux. Les exigences des fins provisoires et les hurlements étouffés.

Écrire est l’acte le plus proche de la mort. Celle qui dépouille de tous les oripeaux inutiles et exsangues. Et pourtant écrire se présente riche de ses seuls ossements fragiles, des cendres avinées de désirs avortés et flétris, des saillies de rêves les plus insensés.

Captiver et capturer le regard pour l’amener dans ce labyrinthe d’où il ne sortira plus, d’où il ne faudrait plus qu’il sorte. Comment le pourrait-il car les portes disparaissent derrière lui et avec lui ? Il ne peut qu’aller devant lui, au-devant de sa fin. Il connaît et reconnaît l’ivresse infime et délicieuse de la chute. Apesanteur temporaire qui finira par l’écrasement. Écrasement puisque chaque jour l’étau se resserre et que l’air rétrécit. Inexorablement.

Les mots les uns après les autres nourrissent les phrases, et les phrases d’autres phrases. En bacchanale infernale et lascive. Et le centre du fragment se déplace à chaque mot, peu à peu vers un cyclone dont l’épicentre concentre toutes les frustrations, tous les désirs inavoués jusqu’à leur conclusion provisoire, jusqu’à leur libération inaboutie.

Le secret est consubstantiel à la confidence dont le fragment se drape. Chaque lecture est lecture unique. Aucune n’existe avant et n’existera après. A chaque lecture, recommence la magie incantatoire. Il y a autant de magie, de séduction, de préméditation que de soumission forcée au hasard, que de renoncements contraints, que d’échecs insupportables.

Voyages sans retour, abandonnés sur les chemins qui ne mènent nulle part. En quête d’un temps qui  recherche désespérément sa fin proche.

Avec l’oppression insidieuse du vide et de ses étreintes sans cesse plus resserrées, la phrase étranglée ne pouvait conclure. Elle s’étendait pourtant des espaces dissous aux infinis moribonds. Son horizon s’éteignait de n’avoir pu atteindre un regard et son ambition resterait lettre morte. Les mots égarés, qu’elle contenait à grand-peine, s’accrochaient aux énigmes sans réponses, aux ruines que leurs désirs muets avaient vainement tenté d’enfanter.

Pour réincarner l’oubli, pour dépasser l’oubli, pour tuer l’oubli envahissant. Il n’y a plus que l’enchevêtrement du hasard, l’accouplement de l’abîme qui ne peut être retenu et qui n’enfante plus que des jours esseulés sans aucune descendance viable.

Et les rêves brisés car restés sans lendemains. Et les souvenirs interdits fruits de nostalgies insupportables. Et les traces disparues après tant de désaffections. Ces traces tortueuses que les pieds eux-mêmes ont déserté, incapables de signer le sol.

À mi-chemin de l’abyme, là où commencent l’ineffable et l’intraduisible, inséparables frères de l’impossible métamorphose, du silence héréditaire des mots, du testament imprévisible du hasard.

Au seuil du calvaire. Aux portes qui n’ouvrent sur aucun horizon viable, sur aucune rivière navigable, sur aucune écriture connue, sur aucun miracle possible, sur aucune collision méritoire. Seules quelques runes qui bornent le chemin d’un pèlerinage salutaire vers les forêts impénétrables et riches de secrets. Seules quelques runes qui martèlent le pas vers les nouvelles ruines, vers les nouvelles sources. Seuls quelques rêves qui forgent et accompagnent les traces à trouver et celles à laisser. Seuls quelques hasards prodigues, seules quelques collisions inespérées, seules quelques collusions secrètes.

Le fragment est autant clef que cadenas. Quand nul ne sait plus où il est, quand le temps a disparu, quand l’espace s’est retiré, quand il n’y a pas d’autre possible, ne restent que l’exil intérieur qui ne connaît aucun achèvement, que l’âpreté d’un désir inutile, que la déchirure plaintive d’un désir décapité.

L’impasse du monde fini. Incarcérer l’espace, recueillir l’altitude, envahir le vide. Tous les matins jusqu’à l’embrasement de la nuit, l’obscurcissement du jour. Reflets tenaces d’un avenir nostalgique. D’une illusion pernicieuse.

Des livres issus d’ivres labours qui n’auront pu s’inventer, n’auront pu s’écrire, n’auront pu s’arracher à l’esprit en deuil d’une mort impatiente et sans cesse attendue. Qui n’auront pu témoigner des luttes obscures qui revenaient de jadis. Des audaces qui n’avaient pour vocation qu’encenser les mots, conjurer les maux. Ces livres qui venaient au monde dès les premiers mots de la phrase et qui se terminaient abrupts avant l’épilogue. Antichambre d’une vie sans racines. D’une patrie sans ancrage. D’un passé sans prémonitions. D’une ferveur sans nouveaux dieux fougueux, fiers et féroces.

Le jour n’était pas encore levé qu’il était déjà trop tard pour demain. Trop tard pour retrouver les sources, trop tard pour écrire les traces, trop tard pour les taire aussi. Trop tard pour un soleil déjà mort avant d’avoir pu atteindre les ombres qui l’attendaient, ces ombres qui devaient en attester l’existence.

Plus que les souvenirs pour survivre, que les souvenirs dérobés à l’avenir rétif, cet avenir ensorcelé n’est qu’un crépuscule hésitant du lieu, une antichambre résolue du livre captif et un témoin du cachot qui l’abrite et l’habite.

Les mots, habitants inattendus du néant, serviteurs inlassables du chaos, invités imprévisibles du vide, témoins attentifs de l’absence. Leur union est le creuset de mondes nouveaux, de lieux éruptifs, de temps immémoriaux, de pays immensurables. L’immensité qu’ils contiennent prend naissance dans l’intimité forcenée qui les traversent.

Il s’en est allé retrouver l’abyme dont il avait fait son lit. Désormais il vit au cœur d’un vertige dont il ne parviendra plus à s’échapper.

Chaque fragment efface furieusement les précédents et offre une mémoire vierge. Même s’il demeure fils d’une longue lignée, il est amnésique d’hier par vocation et ne propose jamais qu’une nouvelle tentative d’écriture du passé, d’enfouissement de ses naissances successives.

Écrire tous les paysages échoués sur des rivages qui n’existent pas. Écrire toutes les aurores qui se refusent. Témoin du premier jour têtu qui tarde.

Souvenirs des rêves impuissants et orphelins. Rébus accroché aux errements des vents. Désagrégation du vide avant sa destruction, sa dissolution. Dans le gouffre arrimé à la page, les mots à peine nés paraissent n’avoir jamais été que des fossiles attendant l’éternité pour seule ambition. N’avoir d’autre patrie possible que l’avenir puisque aujourd’hui plus que jamais est hostile.

D’avoir ramené dans les filets tant de richesses, après tant de rapines, et devenir pauvres à jamais. Désormais aucune opulence ne rendra une fierté perdue. Comment oublier puisque rien n’avait été appris ?

Les rêves n’étaient que des racines incomplètes. Il fallut apprendre à sarcler. Apprendre à patienter des confins. Les rêves n’étaient que des confins d’étoiles, des poussières d’ors.

Chaque fragment est la genèse d’un monde qui succède innocemment et superbement à ses prédécesseurs, une somme d’oublis qui ont fini par éclore et n’ont pas fini d’éclore, la réitération d’une mort qui ne s’arrêtera jamais, d’une mort appelée à se succéder à elle-même. D’une mort condamnée à renaître sans fins possibles.

Ramasser les débris d’une possession inaboutie, d’une étreinte avortée avec le chaos, retrouver le chemin des mondes en gésine. Écrire peut-être ?

L’ossature du massacre, l’architecture de la faim qui dévore les muscles. A la recherche frénétique d’un ancrage que seule l’encre apporte. Une consolation temporaire au temps qui fuit.

Au lointain des lueurs de fin d’éternité. De tous ces siècles vécus et entassés, il ne reste guère de traces utiles, durables et fidèles, pas même l’écume d’un regret pour les combats toujours nécessaires. La nuit désormais ne finira plus et plus jamais il n’y aura de réveils possibles faute de temps opportun, de temps importun.

Écrire ce qui n’est pas lu, ce qui ne peut être lu. N’avoir plus d’autre but que le silence. Plus d’autre alternative aussi. Après avoir sondé tous les mots et récupéré tous les liens possibles, il ne reste plus de temps que pour les prologues. D’autres écriront les suites éventuelles. S’ils sont encore là et s’ils en ont la volonté. Achever sera leur dernier chantier juste avant le début de l’apocalypse.

Vers le grand fleuve qui franchit le ciel et s’enfonce dans l’horizon, dans le secret servile du désir. Loin, au-delà du regard. Près du commencement du temps, près des fissures d’où émergent les obscurités et où se façonnent les tristesses. Pleurer de n’avoir pas encore conquis le monde, ce monde qui a abdiqué sans lustre et qui ne mérite plus aucune clémence. Pourtant demain s’obstine mais il est trop tard déjà pour espérer l’endurer.

Le temps était devenu subitement inutile avec des livres qui ne seraient lus, pour la plupart, qu’une seule fois. Mais ils entreraient dans la lente demeure de la mémoire, antichambre temporaire d’une éternité oublieuse. En chemin une crainte soudaine animait leur lente digestion. Pourtant l’héritage en serait trop abondant et le cœur trop étroit pour les abriter tous.

Dans les méandres du vertige, dans ses vestiges escarpés issus de la nuit emmurée et haletante apprennent à cohabiter la peur dissimulée et le désir désossé. Non loin de l’heure qui s’égare et du temps qui déserte, demain est devenu incertain avant de devoir renoncer probablement. Patientent sans espoir, à quelques distances de l’instant irrévocable, du vocable attardé, indécis et rebelle, les ambitions déchues et les volontés moribondes.

Les pages non lues, s’ajoutant à celles qui restaient à écrire, excédaient de beaucoup la dimension de l’avenir et de ses jours disponibles. Les livres survivront un temps puis disparaîtront à leur tour sans laisser d’autres traces que l’oubli momifié. Et tout redeviendra vierge et blanc. Comme à l’instant du premier cri.

Épuisé par des rêves solitaires qui s’accrochaient aux désirs anonymes. Écartelé par l’asservissement du temps inutile, par l’enfer du doute forcené, par la douleur du manque réfractaire. Sur le chemin d’une enfance égarée, aux confins des abandons, non loin des distances serviles. Là où commençait le pays des incendiaires, le pays des captifs, le pays des vassaux, le pays des apatrides. Le temps n’était plus aux questions dérisoires, aux adoptions fictives, aux noces tardives ni aux serments intenables. Demain serait absent encore et l’espoir toujours le versant funeste d’une asphyxie sans fin.

Apocalypse née d’une rencontre fortuite de vertiges de temps et de vestiges d’espaces. Apocalypse soudainement libérée de profondeurs dont nul n’est jamais revenu. Apocalypse fracassée contre des rochers de certitude et des remparts d’ignorance. Il faut maintenant savoir mesurer l’infini et habiter l’abîme. De formidables épousailles sont au détour des mots et de fabuleux divorces à la croisée des phrases. Face à l’imprévisible artifice du néant, le fragment, dernier défenseur d’un royaume en détresse, sait que ses vœux le porteront à la proue de l’éclair, au commencement du sillon et à l’orée du miracle.

Dans un monde sans mémoire et sans traces, il est essentiel de susciter sinon d’offrir la nostalgie de ce qui n’a jamais existé comme le regret des bonheurs controuvés. Une des missions impérieuses, s’il en est d’autres.

Sur le chemin des précipices, toutes les rencontres sont miraculeuses. Si d’aventure les passions ont fléchi ou les certitudes reculé, il faut, malgré l’adversité, toujours en vérifier l’authenticité et la force souterraines. Si les rivages d’altitude ont déserté ou si les sources se sont taries, persévérer reste nécessaire dans l’attente de l’orage et de l’océan égarés. Le durcissement de l’éclair, l’enfouissement de l’espace et l’embrasement du temps sont autant de signes pour la prophétie, autant de fanaux avant-coureurs de bouleversements qui ne doivent en aucun cas entraver la marche. Sur le chemin des précipices, le vertige est un ami et l’obstacle un défi abandonné du hasard.

Seul demeure le texte, le texte souverain, le texte orphelin, le texte héréditaire. L’auteur, qu’il le veuille ou non, n’est que l’usufruitier de son œuvre aussitôt écrite. Quant au fragment, amnésique de naissance, il ignore ses parents. Son temps n’est pas celui des autres et ses liens du sang non plus. S’il reconnaissait ses origines, il s’évertuerait à les répudier.

D’où venait-il ce feu qui brûlait les pas ? D’où venait-il lui qui ne laissait d’autres cendres que l’absence ? Les cendres, seul témoin dans une marche qui s’était égarée. A l’approche du soleil, les ténèbres s’étaient retirées provisoirement par abandon, mais une nuit plus longue que toutes les précédentes attendait. Sans savoir si elle serait surmontée et si le jour désormais serait un horizon inexpugnable. L’infortune était devenue peu à peu aussi grande que l’aveuglement.

Seule la nuit apportait encore une lucidité intacte, le jour, quant à lui, depuis longtemps avait déserté. Seule la nuit, dans son insomnie stellaire, savait encore entrevoir le port où s’ancreraient les rêves de vertiges. Marins sur une route à l’écart des mers, les naufrages n’en seraient que plus profonds, les butins plus inattendus, les îles plus désertes et les ancres, plus insaisissables encore, prises entre les tenailles des sables.

À l’assaut de la route enflammée, au travers de mon corps improbable, une voix. Et cette voix n’appelle que la rançon de l’aurore après le pillage de la nuit.

De s’être trop rapproché du soleil que la lumière était devenue invisible.

Le vertige habitait chaque pas mais comment sans boussole s’affranchir du ciel ?

Dans les espaces sporadiques où le repos est impossible et où l’exil, seul refuge viable, est inaccessible. Dans les espaces morcelés attardés à rétrécir l’horizon. Inventer la nuit pour s’y réfugier. Inventer l’étincelle pour embraser le jour fragile. Pour embrasser l’aurore avant qu’elle ne se consume jusqu’aux cendres de l’oubli.

Au détour du temps égaré, sur la longue route qui mène aux confins impalpables. Dans l’attente de l’éclosion du chaos dur comme le cristal et fragile comme la fleur. Et pourtant depuis la précédente éternité les sources étaient taries et les filons éventrés. Par pur hasard ou par vil châtiment ?

Les vents apatrides sont-ils enfin parvenus aux rivages des mers mortes rencontrées en chemin ? Et ces reflets de visages à naître ou de mirages incandescents qui s’estompaient ? Qui s’effilochaient, s’évanouissaient, se délitaient avec le jour finissant ? Et la bouche pleine du sable qui noyait les mots, les yeux emplis de l’éclair qui assombrissait les regards, qui pouvait encore les reconnaître ?

Le regard constellé de cieux empourprés au soir du jour. Il restait encore demain pour tenter d’éviter l’inévitable, pour tenter de commander au soleil avant de s’évanouir. Impérieux mais périssable jusqu’à nous emporter dans l’abîme avant lui.

Attardé à soulever le ciel, ou à tenter d’y parvenir, il ne fallait pas oublier de donner l’adieu au monde finissant, à l’aurore moribonde à peine levée, aux naissances flétries parce que condamnées.

Préméditation permanente du chaos. Chaos précurseur de naissances sans hérédité et gangrène de chaque jour amnésique. Blessure continue, insoutenable héritage et invisible clarté. Lente et méthodique préméditation du chaos. Quelle rédemption ou quelle rémission encore possibles ?

Captif d’un corps et d’une tête. Aucune clef pour en ouvrir les portes, aucun trépan pour en percer les murailles. Rien pour en terrasser les rêves fanés. Les rêves impossibles qui hantent les jours affamés. Ces jours immatures égarés dans leurs rêves nécrosés et exsangues.

Manquent encore la mèche, la poudre et l’étincelle pour pulvériser les mondes à venir qui sont déjà vieux. Et les temps inexorables dans l’insouciance du brasier annoncé, dans l’éventualité de la nuit suprême et irrémédiable.

Dans l’étau de la parole orpheline, de la parole anonyme, de la parole répudiée. À l’écoute des dialogues et des silences qu’elle partage avec les mots ses fidèles vassaux. Dans les silences surpris au détour des phrases inachevables. Dans l’épure des silences qui font le commencement de la parole autant que son embouchure.

Avec les cauchemars entamés à la nuit achevée et éventrée, à l’extinction inéluctable de l’obscurité, à l’étranglement obstiné du rêve. Le silence est le dernier sursaut qui précède le néant, cette parturition menaçante, cette destinée accidentelle, cette résurgence têtue du chaos.

N’exister que dans l’imminence du hasard, de l’amnésique hasard. Ne pas écrire dans l’imminence, mais écrire l’imminence seule, l’imminence incertaine, élaguée du hasard, réduite soudainement à l’avidité, à l’appétit impérieux et menaçant du hasard.

Ausculter, éviscérer, évider le vide, cette antichambre du néant, cet espace orphelin qui ne sécrète aucun lieu.

Écrire est le dernier sanctuaire où une folie primitive, indomptée, indomptable peut encore éclore. Dans l’intimité d’un univers qui puise et épuise ses sources rouillées, ses sources souillées. Dans un silence aux mots dérisoires avec leurs limites infranchissables et qui restent désespérément impuissants à traduire l’âpreté, l’intensité, l’immensité et aussi la démesure.

L’étreinte rugueuse, fugace et pourtant répétée du néant. L’étreinte amère, éreintante, appauvrissante. L’étreinte toujours inachevée et toujours inachevable. L’étreinte rapace qui laisse le goût du sable et des désirs assassins.

Par-delà la raréfaction du temps, par-delà la raréfaction du vide, écrire l’archéologie du futur pour demeurer évadé invétéré du futur.

Il n’y avait qu’un lien abordable, qu’un lieu abordable. Hors du périmètre de la douleur, de l’absence ramassée. Non loin de l’épicentre tellurique.

Le fragment n’est pas un fragment d’univers, mais univers à lui seul, indépendant des autres, étrangers aux autres. Il est ce monde qui naîtra de ses cendres, de ses ruines. Le fragment n’est qu’une juxtaposition de possibles, sans cesse recomposés par le hasard, seul arbitre entre des volontés plus ou moins conscientes de celui qui écrit et de celui qui lit. Riche de ce qu’il n’a pas encore dit, chaque fragment appauvrit, consume mais donne pourtant cette force de persévérer.

Loin des espaces sporadiques qui entravaient sa route, des espaces morcelés qui obstruaient son horizon, le fragment témoin et vestige d’une œuvre perdue, d’un paradis inaccessible mais entrevu. Clef de monstrueuses énigmes, espoir d’avenirs déjà fossilisés, souvenir d’étreintes secrètes, le fragment, élément épars d’un tout inexistant ou encore à venir. Tout son devenir imprévisible tient déjà dans le premier mot, le reste n’est qu’accomplissement inéluctable de sa destinée.

Météore insaisissable au sein de la phrase miraculée, de la phrase insouciante, de la phrase assoupie. Enchevêtrement de hasards, de subterfuges patiemment ourdis pour échapper aux pièges délétères du réel, à l’affadissement de mondes hostiles et pourtant vivaces. Dans l’attente d’une inespérée providence prompte à ressusciter en vain.

Avant le commencement de la phrase, avant le commencement du mot, il y a le commencement d’une mémoire qui naît et se livre, le commencement d’un avenir impossible qui s’insurge. Il y a des espaces en poussière et des extases étranglées. Il y a surtout un silence impérieux, un silence retors à traduire, un silence rétif et hostile à la trahison du verbe.

Dans la page complice et monstrueuse. Ou dans l’univers incertain et vorace d’une page immature, famélique et subreptice.

Strangulations du désir et résurgences de passions éteintes et d’étreintes féroces. Dans le lieu inaccessible et silencieux qui entoure les phrases. De ce lieu impénétrable, à peine évoqué et déjà révoqué. En son centre vacillant et accidentel, affamé et précaire un nouvel héritage se construit avec l’éphémère pour étendard.

Dans la somnolence tragique de l’écho du silence, les mots se sont évanouis dans l’attente de l’hospitalité charitable du lecteur. Ils sont le levain de mystérieuses beautés, d’exceptionnelles moissons mais aussi de périls possibles. N’existant que dans l’instant miraculeux de l’abandon, l’extrême richesse, qu’ils renferment, y côtoie l’extrême pourtant dénuement. Avant le dénouement extrême.

Les tenailles de la nuit précédaient les semailles de la nuit. Avec le jour revenu, l’extase avait disparu mais l’amertume était restée vivace jusqu’à la délivrance fortuite d’extrêmes servitudes.

Forçat du néant, prisonnier des nuits inutiles et des jours insolubles. Prisonnier mais forgeron d’ors insoupçonnés, orpailleur de décombres abandonnés, de mondes abolis, d’épopées égarées dans l’oubli, d’apothéoses hâtivement ensevelies, de grimoires fabuleux mal refermés, de cristaux d’échos inouïs encore vifs. Forcené sur un esquif qui n’aura jamais quitté la tempête, forcené de paroles orphelines qui n’aspiraient qu’à mieux dire, las d’avoir sillonné les temps inlassables sans trouver nulle trace de demain.

Vivre viscéralement vissé au vide.

Dans les filets de lendemains fragiles, sera-t-il encore possible de ramener les saisons et les fortunes nécessaires à une moisson définitivement prodigue et à un insatiable appétit ?

Le fragment, aussitôt conçu aussitôt évadé, n’a d’autre existence que celle qu’il s’octroie. Là où il n’y a plus de chemin. Là où gisent des rêves virulents, gage d’intensités à venir et de violences intestines.

Le fragment ne produit rien ni ne reproduit rien car telle n’est pas sa vocation mais il se reproduit seulement à chaque lecture au terme d’une mue silencieuse, miraculeuse et inexplicable. Infiniment et indéfiniment.

Lave inexorable à parcourir les phrases du réveil abrupt de l’incandescence endormie à l’embrasement inattendu du terme.

Ce lieu intérieur, ramassé, noueux et infini à la fois, apte à capturer les éphémères paysages, les prodigieuses nourritures, les miraculeuses saisons. Pour en restituer les promesses coriaces, les espoirs voraces et les solitudes tenaces. Destin des derniers aventuriers du langage. Dans un temps encore habitable et toujours impénétrable, ce lieu est le dernier lien qui les lie à l’énigme de l’ardente page, de l’indéchiffrable blancheur, de l’évanouissement des mots et de l’auscultation pernicieuse du silence.

Un lieu inaccessible s’accroche à la page tandis qu’un lien durable s’extrait de la page dénudée. L‘un et l’autre s’échinent à en libérer les secrets indigènes. Il leur reste à dénouer enfin le lieu de tous les liens dissimulés qui entravent toutes les passions indicibles, toutes les passions étouffées, tous les souvenirs déjà morts dans des lendemains qui tardent à naître. Les temps ne suffiront pas à en taire les aveux ni à en colmater les brèches.

Écrire est bâtir une obscurité dans un monde de ténèbres. Apprivoiser le silence infiltré entre chaque mot pour en dévoiler les liens fragiles tissés avec la complicité du hasard. A l’écoute des phrases solitaires occupées à la lente éviscération du silence.

Le fragment, non pas éclat d’un tout inconnu et insaisissable, mais seulement éclat de lui-même, éclat de sa blessure, éclat de son inévitable échec, de son perpétuel échec.

D’abord le tutoiement de deux silences puis l’étreinte de deux silences. Puis lentement cette étreinte solitaire et sans sillon se métamorphose en deux étreintes orphelines qui vont s’avouer leurs secrets, leurs impérieuses ambitions, leurs intimes faix et savourer aussi leurs sources jadis asséchées et subitement révélées. Elles ignorent hélas qu’échafauder leurs obscurs labyrinthes ne les mènera inexorablement qu’à la lumière vengeresse et qu’au châtiment insurmontable de l’oubli.

Combustion d’un temps qui ne laisse pas de traces car il est déjà en cendres.

Des restes d’étreintes rances qui achevaient de mourir, qui finissaient de sécher sous les feux assassins d’un temps rescapé, d’un temps en déroute. Des échos d’étreintes mort-nées, ensevelies par le mensonge, enfouies dans l’impossible, écrasées par le refus.

Les nuits infécondes, derniers témoins de lieux convoités mais inaccessibles, juste avant l’abysse oublié du ciel. Elle portent en elle les ferments d’aubes encore jamais vues, de départs inespérés, de fuites sans issues. Quelle page indolente, quelle page dévêtue, quelle page arrachée, quelle page indulgente pourra renfermer ce commencement d’horizon, cet apprentissage du large, ce renoncement au quai disparu ? Plus d’évasion possible. Ailleurs s’était entretemps évanoui.

Écrits engloutis dans l’opacité du dire, égarés aux frontières de l’intraduisible, à l’affût aux lisières du concevable.

La déroute de l’avenir, inévitable car inscrite dans le livre écorché, abandonné aux ébauches qui n’en finissent plus. Dans le livre toujours recommencé et jamais terminé. Dans le livre où tous les mots sont déjà écrits avant même d’avoir été conçus. Dans le livre aux pages immaculées où le silence est le seul thrène, le seul thrène audible, audible jusqu’au pourrissement des sens, jusqu’à la libération illusoire du corps, jusqu’à l’impossible incarnation du désir.

Les horizons finis qui ne reviendront plus, les horizons cruels occupés à broyer les rêves et à museler les regards. Et l’océan qui escalade le rivage. Et la tête qui cogne aux nuages.

Écrire n’est plus qu’une tentative effrontée et avortée de survivre au néant, de le repousser alors que par un jour félon il achèvera tout ce qui aura été commencé.

La page déserte avec les mots pour la féconder et la peupler, dérisoires, impuissants, fourbus et amnésiques. Demain apparaît désormais inaccessible et hier a subitement disparu.

Comment surmonter le livre écorché, le livre plaintif, abandonné aux ébauches qui n’en finissent plus et qui ne peuvent connaître de fin ? Faudra-t-il attendre l’aube miraculeuse avec ses lueurs incertaines ? Faudra-t-il sinon se contenter des derniers feux d’ambre, signature pétrifiée du soleil accouplé à une éternité captive ?

Ne reste plus que le vertige pour conjurer l’abîme. Il faudra peut-être y voir le silence et en entendre l’obscurité.

L’aliénation forcenée du langage. La désintégration méthodique du langage. Ne pas être dans la rupture. Être rupture.

Écrire n’est que le prélude à d’inévitables séparations. À colporter l’absence le long des pages égrenées, à extraire des mots le silence natif et morcelé qu’ils contiennent, l’éternité s’est écoulée sans tumulte, plus vite que le soleil n’use de lumière pour s’éteindre et pour ensevelir l’horizon qui l’entrave. Écrire n’aura été que l’accomplissement d’un désastre prémédité, d’une blessure prévue qu’aucune cuirasse ne pouvait soustraire à son destin.

Ne pas écrire dans l’imminence, mais seulement l’imminence incertaine, élaguée du hasard, réduite aux acquêts du hasard. Écrire pour se retirer du réel et pour redevenir filon en attente d’extraction, lave en attente d’éruption.

Ajouter de la parole au silence, comme le fou du sable au sable.

Avant la fin des mondes, quelques secondes avant l’effacement des temps altérés. Avant la fin de la route qui ne devait jamais finir. Avant l’agonie des néants orphelins, des géants orphelins. Avant l’ensevelissement des hasards, la contraction des espaces, l’aveuglement des regards. Avant l’ultime spasme de lumière et le retrait des horizons. Avant l’avènement des silences mugissants et la dislocation impérieuse des univers.

Sur les traces du soleil. Sur les traces aveugles. Sur les traces perdues dans la poussière d’étoiles. Les phrases infinissables se terminent avec l’infini recroquevillé, avec l’infini soumis, avec l’infini entravé, avec l’infini surmonté. Pour que l’imprévisible ou le hasard, son frère de sang, son complice de noces sanglantes y ressuscite, il faut que s’achèvent les temps, les temps imparfaits, les temps moribonds, une fois accomplis leurs forfaits impavides.

Nostalgie durable d’un futur qui est déjà né. D’un futur sans avenir rencontré sur le chemin de l’oubli réfractaire de la nuit. Dans les pages écrites sans encre, de retour de voyages sur des nefs sans ancre.

S’abriter dans l’éclair, dernier refuge sur la route abrupte et invisible du soleil. Non pour écrire inlassablement mais écrire fébrilement l’absence et le chaos insidieux et insolent. Pour écrire avec les seuls mots du silence, les seuls mots remontés des espaces disparus, des temps qui n’ont jamais vu le jour. S’abriter dans l’éclair insaisissable pour s’accoutumer à ses vertiges généreux qui défient tous les regards, à ses folies qui défient tous les équilibres. Se hâter, avant la nuit impie, de délivrer la page blanche de l’abîme et de son inféconde déchirure.

Dans l’enfer qui ne conduit qu’au vertige incendié, qu’à la lave incandescente surgie de la nuit primitive. Qu’au seuil méconnaissable des mots impuissants, des phrases éviscérées, des rêves appauvris et des souvenirs absents. Dans l’enchevêtrement d’orages qui obscurcissent le regard, qui asphyxient les vents et qui vident les ciels poussiéreux. Dans la désagrégation d’un temps asservi, reste la page étouffée, la page rétrécie, la page amnésique et au loin l’embrasement opiniâtre, en approche, avant la page consumée. Mais que faire des temps inutiles et des feux qui ont renoncé à brûler ?

Et les dieux de s’ennuyer. Un jour ils créèrent l’éternité par erreur. Ils savaient qu’ils n’en viendraient pas à bout mais il était déjà trop tard, ils ne surent plus jamais s’en délivrer.

À quelques secondes interminables de l’embouchure du dernier monde. À quelques éclairs enfin de l’orage salutaire.

Première et dernière page. Deux extrêmes d’un même rivage et d’un même présage. Seules les autres pages, entre leurs deux limites infranchissables, sont autant le fruit de la volonté que la sanction du hasard.

Le fragment est le lieu cardinal de tous les crimes impunis et de tous les renoncements souverains. Mais il reste l’épicentre du miracle et la condition de sa résurrection.

Traquer le langage à l’intérieur du langage, dans ses secrets inaudibles pour en extraire les mots qui s’écrivent d’eux-mêmes.  Mais dévoiler l’énigme, qu’il porte, serait amoindrir l’ambition du secret du fragment.

Avec le seul alphabet du hasard pour grimoire et boussole, à l’assaut du ciel et des pages non écrites.

Une lueur fragile et indécise annonçait le livre possible à écrire, le livre impossible à conclure. Des mots s’entrechoquaient et des silences se préparaient à dire. Comme une naissance, rencontre de deux hasards, sur la route captive. Attachement et arrachement. Peu les séparait.

Au sortir de l’âge rugueux ne subsisteraient plus que des restes d’étreintes inachevées, d’étreintes écornées, d’étreintes mort-nées. Et d’autres étreintes inconnues abandonnées du désir. Du désir insondable, du désir illusoire, du désir encore rare.

Créer depuis des ténèbres têtues une lumière fabuleuse. L’âge ayant disparu, il ne restait plus qu’un temps décomposé, un temps inutile hors du temps concevable, hors du temps inachevable et pourtant circonscrit.

Le dernier mot. Perdu et coincé entre l’obscurité et l’aveuglement. Entre la fin de l’avenir et le commencement de l’oubli. Le dernier mot, prochain miracle dans un monde sans dieux, prochain mirage dans un désert sans sables. Le dernier mot, signature funeste de l’abandon.

Se brûler les yeux d’avoir voulu apprivoiser l’éclair. Devenir sourd d’avoir voulu étouffer les cloches de l’apocalypse à venir.

Il faudra revenir sur nos traces qui entretemps nous auront précédé.

Exister dans les seuls fragments. Ils sont tour à tour asile et récompense. Royaume et exil. Mémoire et amnésie. Écrire n’est parfois qu’une lente germination du silence, qu’une naissance inattendue d’une parole assourdie, d’une parole endormie, d’une parole entravée. Qu’une tentative insensée d’exprimer ce qui doit rester inexprimé, ce qui s’accroche au nœud de l’inexprimable. Ce que le silence entend taire et qui nous vaut tous les égarements, demeure la seule odyssée encore possible dans l’océan asséché du souvenir, dans les racines égarées de la mémoire.

Pétrir le feu, écorcher la lumière. Sculpter l’étincelle, récolter l’éclair. Apprivoiser l’obscurité, courtiser le mirage. Questionner le silence, dissoudre le néant.

L’étrange asphyxie du regard, le perpétuel isolement du désir. La soudaine proie et la chair inutile. Et les innombrables questions et l’unique réponse impossible.

Coincé entre des ciels qui refusaient de se lever. Coincé entre les mâchoires de matins en fureur.

Au bord du ciel, là où les nuages prennent racine, là où les pluies prennent leurs sources. Là où s’achève et meurt l’infini.

Coincés entre des ciels qui refusaient de se lever. Coincés entre les mâchoires de matins en fureur. Tels des héros inconnus, des héros déchus qui voulaient vivre en démon et mourir en dieu. Jusqu’à la fin de l’éternité. Jusqu’au matin où le soleil aurait disparu.

En quête du livre dans lequel tous les avenirs possibles étaient écrits. Où tous les avenirs possibles restaient à écrire. Où tous les périls étaient à conjurer. Y aurait-il un mot, un seul mot pour délivrer de tous les autres ?

Y aura-t-il un rêve plus vaste que tous les autres ? Un rêve capable de les résumer, de les enfermer, de les abriter ? D’amener sur une grève nouvelle toutes les nuits infécondes ? De les raccrocher à l’interstice où s’engouffrent les vides ?

La naissance de l’infini. La naissance avortée de l’infini. Entre ces deux obstacles, ces deux récifs, ces deux souterrains il ne reste guère que quelques vestiges d’ambitions, quelques rêves trop lourds, trop vastes pour des nuits étriquées.

Écrire ramène inexorablement aux premiers mots, à l’antichambre de la parole, au carrefour de l’action interdite, du désir contraint et inexprimable. Aux premières ivresses de la parole. Aux premiers âges de la parole. A l’escale mortuaire de la nuit primitive.

La fin de l’inachevé reste la condition de la perpétuation. Les mots apportent autant qu’ils retranchent. Le festin doit s’accommoder des braises mais aussi se satisfaire des cendres.

Chaque phrase est le souvenir d’une fracture, le témoin d’un secret, l’aveu d’un désir, la preuve d’un hasard.

Parvenir altéré au bout du livre, à la lisière reculée où les phrases s’effilochent, où les mots déjà rares se perdent dans l’absence, désertent leurs destins et abandonnent leurs acceptions. Pour les mots innocents, pour les mots coupables disparaître n’est pas le risque le plus fort, il n’est que celui de l’oubli qui peut à nouveau les ensevelir et à nouveau les priver d’une identité convoitée, d’une identité promise.

D’avoir assisté à la naissance chaotique de l’infini il ne reste plus guère que l’attente du reflux de l’espace. Dans ses filets, qui ont traversé les hautes mers et chaviré sur les radeaux aventureux de demain, ne subsistent que des avenirs qui n’existeront pas et des fables que nul n’entendra. Juste quelques échardes de néant enfoncées dans le corps du regard.

Vers les dernières frontières concevables avant l’extinction du silence. Vers les pays où poussent les miracles abandonnés aux jachères de l’oubli. Juste avant l’infini achevable, avant la raréfaction inexorable de l’espace, avant le ruissellement des altitudes qui s’effondrent. Juste avant les abîmes incapables d’absorber l’univers et qui n’en finissent plus de vomir leurs chaos fertiles.

Chaque page du livre, qui s’effeuille, se rapproche non pas de la dernière mais de la première, de la toute première. Dès le premier mot et à chaque mot. Irrévocablement. Mystérieusement. Chaque page est peut-être le premier visage, le premier sourire, la première voix ou le premier regard qui sépare l’origine du commencement, la racine du tronc.

Pont de limites à l’imagination séculaire du mirage, que limites possibles à son intensité innée. Il ne contient que nos délires et nos peurs. Il est en nous, tapi dans notre sève, prêt à bondir sur tous les printemps insolents, inattendus et égarés à la fois qui se présenteront. Il est le maître solitaire d’un océan de sables qu’aucun galion prudent ne saurait emprunter, mais dans lequel seul un fol esquif, libre de toutes amarres, pourrait encore s’aventurer.

Mordre l’espace, voler l’éclair et capturer le feu. Et l’infini des pages qui n’attendent que d’être lues.

Soliloque de l’absence enchaîné au soliloque du silence. Soliloque de l’écho orphelin en quête effrénée de racines. Soliloque de l’écho abandonné oublieux de ses sources et qui ne connaîtra point de limites.

Il est des obscurités plus têtues que d’autres, plus impénétrables que d’autres. Il en va de même de l‘éclair, fils présomptif de la lumière.

Écrire est le dernier combat contre l’épuisement du réel et le renoncement au présent.

Chaque mot épuise le précédent et laisse béant l’espace qui le sépare du prochain. Cet espace abrupt qui sépare les mots entre eux, cet espace fini qui annonce les noces fortuites et abondantes comme les divorces irrémédiables. Chaque mot enterre le précédent et prépare sournoisement l’avènement du suivant, l’avènement de ce futur impossible, de cette inextinguible servitude, de ce trésor perpétuellement enfoui, perpétuellement déterré, perpétuellement réenseveli.

Un abîme que seuls d’autres abîmes peuvent combler. Un silence que seuls d’autres silences peuvent dissimuler. Cette parole absente, début d’un exil tenace, d’une déchirure mortelle ? Et les mots avant tout pour anticiper et précéder la parole, la parole incertaine, la parole possible, la parole imprudente ? Sont-ils présents pour élucider nos mystères, révéler nos fables ou pour taire nos silences ?

Écrire épuise et n’épuise pas la source. Écrire ne fait que rajouter une source à d’autres sources, un temps à d’autres temps. Écrire, résurgence stérile, porte pourtant en lui le ferment d’autres résurgences possibles, d’autres passés à venir et à féconder de nouveau.